Trouble méconnu mais de plus en plus étudié, le brouillard cérébral, souvent décrit après une infection au Covid-19 ou dans le cadre de maladies chroniques, plonge des milliers de patients dans une incapacité cognitive déconcertante. Difficultés de concentration, oublis fréquents, confusion mentale : ces symptômes toucheraient entre 20 et 65 % des personnes atteintes de Covid long, selon les premières estimations.
Si le terme a récemment gagné en notoriété grâce à la pandémie, il n’est pas nouveau. Fibromyalgie, encéphalomyélite myalgique (syndrome de fatigue chronique), lupus ou encore chimiothérapie sont autant de contextes où ce brouillard s’est manifesté bien avant 2020. Il affecte aussi des patients traités pour des troubles de santé mentale tels que la dépression ou la schizophrénie.
Le phénomène reste difficile à cerner, faute de définition clinique officielle. Les experts s’accordent pour le moment à considérer le brouillard cérébral non comme une maladie, mais comme un ensemble de symptômes neurologiques liés à diverses affections. Frustration supplémentaire pour les patients : les tests cliniques ne détectent pas toujours les déficits rapportés, accentuant leur sentiment d’incompréhension et parfois leur isolement médical.
Derrière ces symptômes, les chercheurs identifient peu à peu plusieurs mécanismes biologiques. La neuro-inflammation apparaît comme une cause majeure. Certaines infections, comme celle du Covid-19, stimulent une réponse immunitaire excessive, qui perturbe durablement le fonctionnement cérébral. Activation prolongée des cellules immunitaires du cerveau, production d’autoanticorps ou réduction de la matière grise et blanche : autant de conséquences visibles dans les cerveaux affectés.
Les dernières recherches pointent également la porosité de la barrière hémato-encéphalique comme un facteur aggravant. Normalement, cette membrane protège le cerveau contre les toxines et agents pathogènes. Mais des études, notamment celle publiée dans Nature en février 2024, montrent qu’après une infection au Covid long, cette barrière devient plus perméable, exposant ainsi le cerveau aux inflammations. Toutefois, ces découvertes suscitent encore des débats au sein de la communauté scientifique, certains chercheurs appelant à des études de plus grande ampleur.
Hormones et microbiote intestinal pourraient aussi jouer un rôle. Chutes d’œstrogènes à la ménopause, hypothyroïdie, traumatismes crâniens ou déséquilibres du microbiome intestinal sont également associés à l’apparition d’un brouillard cognitif. Ces pistes, bien que prometteuses, nécessitent encore d’être approfondies pour comprendre l’étendue et la diversité du phénomène.
Face à cette complexité, comment agir ? Les spécialistes recommandent d’abord d’améliorer les habitudes de vie : sommeil réparateur, alimentation équilibrée et activité physique régulière sont les premiers leviers. En cas de symptômes persistants, un avis médical est essentiel pour écarter des causes réversibles comme une carence en vitamines ou un trouble thyroïdien.
Pour les cas plus lourds, une réhabilitation cognitive — comparable à un entraînement cérébral — peut offrir des améliorations sensibles. Des pistes médicamenteuses sont aussi à l’étude : traitements utilisés contre le TDAH, antihistaminiques, antiacides anti-inflammatoires, et immunothérapies pourraient à terme constituer de véritables solutions.
Le brouillard cérébral reste aujourd’hui un champ de recherche en pleine ébullition. Sa complexité impose patience et rigueur scientifique. Mais l’espoir grandit : en levant progressivement ce voile sur le cerveau, les chercheurs avancent vers de meilleurs diagnostics, des traitements ciblés et, surtout, une meilleure reconnaissance du vécu des patients.