Pour la première fois en plus de six décennies d’existence, le Salon International de l’Agriculture, qui ouvrira ses portes samedi à Paris, consacre une place d’honneur au Maroc. Ce statut privilégié, jusqu’ici inédit dans l’histoire de cet événement, traduit non seulement le rôle prépondérant du Royaume dans le secteur agricole, mais aussi le réchauffement notable des relations franco-marocaines, marqué par une coopération accrue dans des domaines stratégiques.
Le président Emmanuel Macron a ainsi personnellement convié le Roi Mohammed VI à assister à cette édition exceptionnelle. Toutefois, la participation du souverain marocain demeure incertaine.
Un rapprochement diplomatique aux ramifications économiques
Cette invitation intervient dans un contexte de réconciliation entre Rabat et Paris, après une période de tensions exacerbées par des dossiers sensibles, notamment l’affaire Pegasus et la politique de restriction des visas imposée par la France en 2021. Après ces heurts, les deux nations ont amorcé un rapprochement, symbolisé par la visite officielle du président français au Maroc et son soutien affirmé à la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. Ce dégel diplomatique s’est traduit par la signature d’accords bilatéraux, notamment en matière de coopération agricole.
Les acteurs du secteur céréalier français se réjouissent de cette dynamique. « Le Maroc est un partenaire historique de notre filière. Cette mise à l’honneur au Salon de l’Agriculture est une reconnaissance de l’importance de nos liens « , souligne Philippe Heusele, président du comité des relations internationales d’Intercéréales, le lobby français des céréales.
Un partenariat agricole fondé sur des besoins mutuels
Le Maroc figure parmi les principaux importateurs de blé tendre français, couvrant plus de la moitié de ses besoins en 2023 grâce aux exportations hexagonales. Malgré une baisse des ventes françaises en 2024, due à une production plus modeste et à la concurrence féroce de la Russie, le commerce entre les deux pays reste florissant.
« La France produit en excédent tandis que le Maroc, dont la consommation de blé dépasse largement la nôtre, doit importer massivement. La proximité géographique et la compatibilité des exigences qualitatives facilitent nos échanges », précise Philippe Heusele.
La sécheresse persistante qui frappe le Maroc, enregistrant en 2024 sa sixième année consécutive de déficit hydrique, exacerbe ce besoin impératif d’importation. Toutefois, le Royaume dispose d’un atout majeur : ses gigantesques réserves de phosphate, essentielles à la production d’engrais et dont l’Union européenne est l’un des principaux acheteurs.
Au-delà des transactions, la coopération franco-marocaine intègre un pan scientifique non négligeable. « Le Maroc bénéficie d’une expertise agricole précieuse dans l’adaptation au changement climatique, notamment sur la culture de l’olivier et l’intégration de l’intelligence artificielle dans la gestion du bétail », explique Sandrine Dury, spécialiste au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement.
Les tomates, point de friction d’une compétition inégale
Si le blé illustre une relation commerciale fluide, d’autres produits marocains, en particulier les fruits et légumes, suscitent de vives crispations en France. L’accord de libre-échange signé en 2012 entre Bruxelles et Rabat a facilité l’importation massive de ces denrées vers l’Europe, provoquant la grogne des producteurs français.
Symbole de cette déséquilibre, la tomate marocaine inonde le marché européen à des prix défiant toute concurrence, deux à trois fois inférieurs à ceux des producteurs français. « Nos coûts de production, notamment les salaires, sont décuplés par rapport à ceux du Maroc, où des ouvriers, souvent des femmes, travaillent sans contrat et sans protection sociale », s’insurge Claude Girot, de la Confédération paysanne. Ce syndicat, très engagé sur les questions de droits sociaux, a d’ailleurs remporté une victoire judiciaire en 2024 devant la justice européenne, imposant un étiquetage spécifique des produits agricoles issus du Sahara occidental.
Un défi sanitaire et réglementaire
Outre les critiques sur la compétition économique, des interrogations subsistent quant aux normes sanitaires des produits marocains. Certains pesticides proscrits par l’Union européenne, à l’instar du méthiocarbe et du chlorpyrifos, ont été détectés sur des poivrons importés du Maroc.
Face à ces révélations, Antoine Vermorel-Marques, député LR de la Loire et issu d’une famille d’agriculteurs, plaide pour une législation plus stricte. « Lorsque ces substances interdites sont retrouvées, les lots sont détruits ou renvoyés, mais il faut aller plus loin. Nous devons sanctionner financièrement les importateurs et interdire l’entrée de ces produits sur notre territoire », martèle-t-il.
Sa proposition de loi, adoptée en commission des affaires économiques le 28 janvier, vise à proscrire l’importation de produits ne respectant pas les normes européennes, une mesure qui s’étendrait à d’autres pays comme les États-Unis et le Kenya. « Ce n’est pas une loi contre le Maroc, mais une exigence de santé publique et de justice économique », conclut-il.
Le débat promet d’être vif à l’Assemblée nationale, reflétant les tensions grandissantes entre impératifs économiques et exigences sanitaires, dans un paysage agricole en pleine mutation.