Dans son rapport annuel 2023-2024, la Cour des comptes a mis en lumière les progrès réalisés dans le cadre de la réforme de la protection sociale au Maroc, tout en soulignant les nombreux défis qui menacent sa réussite. Cette réforme, considérée comme un chantier d’envergure nationale initié par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, vise à généraliser la couverture sociale et à renforcer les mécanismes de soutien à long terme. Cependant, des lacunes importantes subsistent en matière de gouvernance, de financement et d’efficacité des systèmes de mise en œuvre.
Des progrès tangibles mais insuffisants
La réforme a permis des avancées notables, notamment grâce à l’introduction de l’aide sociale directe (ASD), dont ont bénéficié 4,18 millions de familles à fin septembre 2024. Les allocations familiales, les aides forfaitaires et les soutiens liés à la rentrée scolaire ont mobilisé un budget de 18,54 milliards de dirhams depuis décembre 2023. Malgré ces résultats, la Cour a relevé des failles structurelles, notamment dans le ciblage des bénéficiaires et la pression croissante exercée sur les finances publiques.
La généralisation de l’assurance maladie obligatoire (AMO) illustre ces enjeux. Bien que 56 % des populations cibles aient été intégrées, seulement 1,2 million de bénéficiaires disposent actuellement d’une couverture effective. De plus, le taux de recouvrement des cotisations n’atteint que 37 %, mettant ainsi en péril l’équilibre financier du système. La Cour insiste sur l’intégration des catégories capables de s’acquitter de leurs cotisations et sur la modernisation des établissements de santé publics, qui jouent un rôle essentiel dans l’absorption des soins.
Des infrastructures sanitaires inadaptées
Le rapport de la Cour des comptes pointe également l’insuffisance des infrastructures de santé mentale et des spécialistes. La capacité d’accueil en psychiatrie ne dépasse pas 2.466 lits dans le secteur public, soit une moyenne de 6,86 lits pour 100.000 habitants. En outre, les médecins spécialistes sont mal répartis, avec un manque criant dans certains profils indispensables à la prise en charge des troubles mentaux. Ces lacunes compromettent l’accès à des soins adaptés pour une large part de la population.
Recommandations clés pour une réforme durable
La Cour des comptes préconise l’activation rapide des institutions clés telles que l’Agence nationale d’appui social et l’Autorité supérieure de la santé. Elle recommande également de renforcer les capacités organisationnelles de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) pour gérer efficacement les nouvelles missions, tout en adoptant une politique multisectorielle de santé mentale. Cette politique devrait inclure des stratégies de prévention, une meilleure coordination entre les différents niveaux de soins psychiatriques et la mise en place de dispositifs de suivi post-hospitalisation.
La diversification des sources de financement est également essentielle. La Cour insiste sur la nécessité de mobiliser des ressources durables pour éviter une dépendance excessive au budget de l’État. À cet égard, une intégration économique des populations marginalisées, via des opportunités d’emploi, représente une solution durable pour réduire la dépendance à l’aide sociale.
Une opportunité pour un développement inclusif
La réforme de la protection sociale constitue une chance historique pour améliorer la justice sociale et les conditions de vie des citoyens marocains. Toutefois, son succès repose sur la volonté du gouvernement à relever les défis identifiés par la Cour des comptes. En optimisant la gouvernance, en modernisant les infrastructures sanitaires et en diversifiant les sources de financement, le Maroc pourra transformer ce chantier en un pilier stratégique pour son développement durable.