Une avancée archéologique majeure vient de bouleverser les connaissances sur les premières sociétés nord-africaines. Une équipe dirigée par le professeur Youssef Bokbot, de l’Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine (INSAP), a mis au jour le plus ancien village protohistorique du Maghreb, situé à Kach Kouch, dans la province de Tétouan. Cette découverte, publiée ce lundi 17 février 2025 dans la revue scientifique Antiquity, remet en question les idées préconçues sur le développement des communautés locales avant l’arrivée des Phéniciens.
Les recherches menées sur le site ont permis d’identifier trois grandes phases d’occupation. La première, entre 2200 et 2000 av. J.-C., reste encore peu documentée faute de vestiges suffisants. La seconde, de 1300 à 900 av. J.-C., marque l’émergence d’un habitat structuré avec des constructions en torchis et en bois, ainsi qu’une organisation agropastorale. La dernière phase, entre le VIIIe et le VIIe siècle av. J.-C., atteste d’une ouverture progressive aux influences extérieures, notamment à travers l’apparition d’objets en fer et de poteries importées.
Le village de Kach Kouch présente des infrastructures avancées, témoignant d’une société organisée. Les bâtiments circulaires en torchis côtoient des structures rectangulaires avec soubassements en pierre, suggérant une communauté sédentaire ayant développé des techniques de construction adaptées à son environnement. La présence de silos souterrains indique une stratégie de stockage alimentaire à long terme, confirmant une gestion planifiée des ressources.
Les analyses archéobotaniques révèlent une agriculture variée, dominée par la culture de l’orge, du blé et de légumineuses comme les fèves et les pois. Vers la fin de l’occupation, la vigne et l’olivier font leur apparition, témoignant d’une diversification des pratiques agricoles. L’élevage de moutons, de chèvres et de bovins constituait l’essentiel de l’activité pastorale, tandis que la présence de restes de porcs suggère une exploitation plus marginale de cette espèce.
L’outillage retrouvé atteste d’un savoir-faire technique avancé. Les poteries modelées à la main et les outils en pierre coexistent avec des fragments métalliques, dont un fragment de bronze étamé daté de 1110-920 av. J.-C., la plus ancienne preuve d’utilisation de cet alliage en Afrique du Nord, à l’ouest de l’Égypte. Ce détail souligne une maîtrise des techniques de métallurgie bien antérieure à l’influence phénicienne.
L’existence de ce village démontre que les sociétés nord-africaines pré-phéniciennes étaient loin d’être rudimentaires. L’étude des matériaux et des techniques de construction, combinée à la diversité des objets retrouvés, suggère des échanges réguliers avec d’autres régions méditerranéennes et sahariennes. Kach Kouch apparaît ainsi comme un centre d’interactions où circulaient connaissances et innovations.
Le professeur Youssef Bokbot souligne l’impact de cette découverte sur la compréhension des sociétés pré-phéniciennes du Maghreb. Contrairement aux hypothèses antérieures, ces résultats prouvent l’existence de structures sociales et économiques complexes bien avant l’arrivée des Phéniciens. Cette recherche ouvre la voie à de nouvelles investigations, susceptibles de révéler d’autres sites similaires encore enfouis sous le sol marocain.