Des chuchotements, des tapotements, des pages tournées avec lenteur… Ces stimuli apparemment anodins déclenchent chez certains une sensation de picotement agréable et une profonde relaxation. L’ASMR, ou « réponse autonome des méridiens sensoriels », a envahi YouTube et les plateformes de streaming, attirant des millions d’adeptes. Mais derrière cet engouement, la science commence tout juste à décrypter les mécanismes réels de ce phénomène sensoriel.
Pour ceux qui y sont sensibles, l’ASMR évoque souvent une expérience familière, vécue parfois dès l’enfance : le calme procuré par une attention délicate, comme lorsqu’on se fait tresser les cheveux ou qu’on observe un objet être manipulé avec soin. Cette euphorie tranquille, décrite par ses adeptes comme un “massage cérébral”, semble offrir un répit émotionnel dans un monde hyperstimulé.
Selon Craig Richard, professeur en sciences biopharmaceutiques à l’université Shenandoah et auteur de Brain Tingles, ce phénomène pourrait concerner entre 10 et 20 % de la population mondiale. Il le définit comme une “détente cérébrale” générée par des comportements bienveillants, souvent reproduits dans les vidéos ASMR. Pour en comprendre les ressorts physiologiques, lui et son équipe ont mené une étude par IRM, révélant l’activation de zones cérébrales associées à la dopamine et à l’ocytocine, cette “hormone de l’amour” libérée lors des contacts humains et des instants de proximité affective.
Cette activation ne se limite pas au cerveau : les effets corporels sont également mesurables. Giulia Poerio, psychologue à l’université d’Essex, a observé que les personnes sensibles à l’ASMR présentent une réduction significative du rythme cardiaque pendant les vidéos, comparée à des participants témoins. Elles montrent aussi une réponse accrue de la conductance cutanée, signe d’une activation émotionnelle subtile, mêlant relaxation et excitation sensorielle. L’ASMR s’imposerait ainsi comme un état hybride, entre calme profond et légère euphorie.
Si certains vantent ses vertus contre l’insomnie, le stress ou même les douleurs chroniques, les études restent préliminaires. Les chercheurs doivent encore surmonter de nombreuses limites : faible nombre de participants, difficulté à recréer des déclencheurs en laboratoire, absence de critères diagnostiques clairs. Poerio souligne la nécessité de distinguer le contenu ASMR – souvent confondu avec une simple vidéo relaxante – de la véritable expérience subjective qu’il provoque chez certains individus.
Certains créateurs de contenus ASMR intègrent cette pratique dans une approche thérapeutique ou éducative, en y associant des disciplines comme la naturopathie, la médecine traditionnelle chinoise ou encore des soins imaginaires. Loin de se limiter à la relaxation, l’ASMR devient alors un vecteur de transmission de connaissances et un moyen de créer un lien humain plus profond, en apportant une forme de présence bienveillante dans un univers numérique souvent jugé distant et impersonnel.
Mais si certains y trouvent un apaisement profond, d’autres au contraire éprouvent une gêne, voire un malaise. Ce rejet serait davantage lié à la misophonie – une hypersensibilité à certains sons – qu’à l’ASMR proprement dit. Une étude de 2017 a montré que les personnes concernées par ce trouble peuvent réagir violemment à des sons pourtant anodins pour d’autres, comme des chuchotements ou des claquements de langue.
Ainsi, l’ASMR divise : entre mystère neurologique, outil thérapeutique émergent et simple effet de mode, la science poursuit son exploration. Si les bienfaits rapportés sont prometteurs, leur validation empirique nécessite davantage d’études. En attendant, pour ceux qui y sont sensibles, l’ASMR reste un refuge discret, une parenthèse sensorielle dans le tumulte quotidien.