Hurry Up Tomorrow, le sixième album d’Abel Tesfaye, alias The Weeknd, est un projet ambitieux et complexe, mais qui, paradoxalement, laisse une impression d’épuisement. Dès les premières secondes, le ton est donné : « Tout ce que j’ai, c’est mon héritage… je suis seul quand tout s’efface », chantonne Tesfaye sur une base synthétique qui évoque les années 80. Ce n’est pas simplement une phrase d’introduction, mais une déclaration qui pourrait symboliser la fin imminente d’une ère. Il a d’ailleurs entretenu ce mystère autour de sa carrière, mentionnant que cet album pourrait marquer la clôture du chapitre Weeknd de sa vie musicale. Une affirmation qui s’inscrit dans une stratégie de communication savamment orchestrée, à l’image de ses précédentes déclarations, notamment en 2022, à propos de sa volonté de « supprimer » le personnage de The Weeknd.
Ce sentiment d’aboutissement ou de fin est renforcé par l’album lui-même, d’une durée de près de 90 minutes, à la limite d’un long-métrage. Le projet, en effet, s’accompagne d’un film réalisé et coécrit par Tesfaye, et la pochette de l’album, semblable à celle d’une affiche de cinéma, accentue cette impression de dernier acte. Le visage grimacé de Tesfaye, à moitié transpirant et visiblement en souffrance, semble à la fois en pleine performance et à bout de forces, une image symbolique d’une carrière au crépuscule. L’album est une fresque sonore pleine de références, tant à l’imagerie cinématographique qu’à des influences musicales diverses. On retrouve des échantillons de bandes sonores cultes, comme celle de Scarface de Giorgio Moroder ou encore Eraserhead de David Lynch. Mais, au-delà de ces inspirations, Hurry Up Tomorrow est aussi un album qui se veut spectaculaire, pour le meilleur et pour le pire.
Les paroles de l’album, en revanche, peinent à convaincre. Les thèmes abordés, tels que la solitude, la richesse et la célébrité, semblent se répéter de manière excessive, sans grande nouveauté. Tesfaye, dans une quête pour explorer la souffrance liée à la gloire, semble parfois se vautrer dans un pathos qui frôle le ridicule. Des vers tels que « dans cette prison de penthouse, je suis seul » ou « je suis piégé dans une cage dorée » n’échappent pas à la lourdeur d’un discours déjà entendu, et l’album s’enlise parfois dans des clichés sur la vie des stars. Cela donne lieu à des morceaux comme Enjoy the Show, où des messages vocaux et des bruits de fond, comme des verres qui s’entrechoquent ou des pilules qui tombent, semblent caricaturer l’image de l’artiste consumé par ses excès. Cette approche peut laisser l’auditeur sur sa faim, surtout si l’on compare l’album à d’autres productions contemporaines qui, elles, dépeignent avec finesse les dérives de la célébrité, comme Happier Than Ever de Billie Eilish ou Guts d’Olivia Rodrigo.
Malgré des paroles souvent superficielles, la musique sur Hurry Up Tomorrow est indéniablement réussie. Tesfaye a décrit son projet comme un « Frankenstein » musical, un assemblage disparate de genres et d’influences. Le morceau São Paulo passe sans transition d’un funk brésilien à une house impitoyable, tandis que Given Up on Me juxtapose des fragments de sonorités très diverses — un sample ralenti de Wild Is the Wind de Nina Simone, un peu de soul des années 70, des accords de piano découpés et une électronique délirante. Chaque morceau est marqué par des mélodies soignées et une production raffinée, mais ce mélange de styles peut déstabiliser certains auditeurs. Des touches subtiles, comme la guitare inspirée de George Harrison sur Reflections Laughing, ou la basse déformée de I Can’t Wait to Get There, viennent enrichir le tout, tout en mettant en valeur des morceaux comme Big Sleep, qui mêle une soul des années 70 à une électronique presque toxique.
Les derniers morceaux de l’album, plus introspectifs, semblent marquer un point culminant. Without a Warning, avec son côté presque « générique de film« , se termine sur des applaudissements et des cris de foule, avant de laisser place à la chanson titre, Hurry Up Tomorrow. Ce dernier morceau s’inscrit dans une grandeur digne des plus grands ballades, avec des airs rappelant Purple Rain de Prince, tout en s’affichant comme un adieu : « Je suis prêt pour la fin… je n’ai plus de batailles à mener ». Cette conclusion, aussi majestueuse que dramatique, semble marquer un point final, mais un point final ambigu, laissant une sensation d’inachevé.
Hurry Up Tomorrow est donc un album qui déçoit par ses paroles souvent faibles et répétitives, mais qui brille par une production musicale de grande qualité. Tesfaye semble avoir tout donné en termes de sonorités et de mélodies, mais l’album pourrait ne pas convaincre tous ses auditeurs par son manque de profondeur. Il s’agit peut-être d’un adieu, ou simplement d’une pause, mais dans tous les cas, l’album évoque une impression de fin, qui, selon les mots de Tesfaye lui-même, pourrait être la fin du personnage de The Weeknd.