Sous le soleil éclatant d’Aïn Sebaâ, une scène intrigante se joue chaque jour. Simohammed Krimboucha, un homme de 36 ans, est suivi par une meute de chiens impressionnants. Certains sont tenus en laisse, tandis que d’autres circulent librement à ses côtés, mais tous obéissent à son autorité discrète. Ce spectacle, qui pourrait effrayer par la taille et l’allure des chiens, révèle pourtant un homme en parfaite symbiose avec ses compagnons à quatre pattes.
Krimboucha n’a jamais suivi un parcours traditionnel. Dès son enfance, il a abandonné l’école pour suivre sa passion pour les chiens. Ne sachant ni lire ni écrire aujourd’hui, il raconte qu’il s’échappait de sa classe pour aller nourrir une chienne qui venait de mettre bas. Son obsession pour les animaux l’a conduit à être renvoyé de l’école, marquant ainsi le début d’une vie entièrement dédiée aux chiens. « Je me sens vivant quand je marche avec eux, surtout quand il y en a une vingtaine. Ils ne te jugent pas, ils t’aiment sans condition », confie-t-il avec une conviction simple mais profonde.
Le surnom de « Krimboucha » lui a été attribué par son cousin en référence à un personnage de petite taille d’une pièce de théâtre égyptienne, Krimboucha depuis s’est forgé une place unique à Aïn Sebaâ, sa passion a cependant rencontré des obstacles. À ses débuts, sa famille refusait qu’il garde des chiens à la maison, particulièrement une pitbull qui lui tenait à cœur. Pendant trois jours, il a dormi sur la plage, incapable de rentrer chez lui sans elle. Ce n’est qu’avec l’intervention de sa grand-mère qu’il a finalement pu conserver ses compagnons. « J’ai fait tous les métiers… Mécanicien, menuisier… Mais je reviens toujours aux chiens », raconte-t-il avec fierté.
Un moment gravé dans sa mémoire est celui du premier chiot qu’il a ramené à la maison. Il s’en est occupé jusqu’à ce qu’une famille résidant en France décide de l’adopter et l’emmène avec elle en Europe. Un an plus tard, lors d’une visite surprise, le chien devenu grand l’a immédiatement reconnu. Ce lien indéfectible, cette fidélité, sont pour Krimboucha la preuve que ses efforts ne sont jamais vains.
Aujourd’hui, Simohammed exerce un métier encore peu reconnu au Maroc : celui de maître-chien ou « dogsitter ». En Europe, notamment en France et au Royaume-Uni, ce métier est très structuré. Les dogsitters y bénéficient souvent de formations, de certifications, et sont même assurés, ce qui renforce leur crédibilité. La profession est courante, surtout dans les grandes villes où les propriétaires de chiens n’ont pas le temps de s’occuper eux-mêmes de leurs animaux. En revanche, au Maroc, cette activité est encore en développement. Bien que des plateformes comme PetBacker offrent désormais des services de garde et de promenade à Casablanca et Rabat, la perception du métier reste empreinte de réticence. Les chiens y sont souvent vus comme des animaux de garde plutôt que des compagnons nécessitant des soins spécialisés.
Cependant, avec l’urbanisation croissante et la montée de la classe moyenne, la demande pour ces services évolue. Des hommes comme Krimboucha commencent à être reconnus pour leur expertise, bien que la société reste divisée sur la question. « Il faut que le chien sache qui est le maître », explique-t-il, lorsqu’on lui demande s’il n’a pas peur de ces grands chiens. Pour lui, le secret du contrôle réside dans la confiance mutuelle et le respect entre l’homme et l’animal.
Bien que l’inflation ait réduit la demande de ses services ces derniers temps, Simohammed ne s’éloigne jamais de ses chiens. « Ils ne te trahissent jamais, ils ne te brisent pas le cœur », dit-il, fidèle à cette relation spéciale qui le lie à ses compagnons. Au fond, Krimboucha incarne une passion brute, une vie tournée vers un amour sans faille pour ses chiens, loin des sentiers battus de la société conventionnelle.