Se parler à soi-même, un comportement longtemps perçu comme étrange ou marginal, est aujourd’hui reconnu comme une pratique courante et précieuse dans le développement personnel. Qu’il s’agisse d’un murmure intérieur ou d’une conversation à voix haute, ce dialogue intime constitue un véritable outil de réflexion, de gestion émotionnelle et d’apprentissage. Selon plusieurs spécialistes, il pourrait même être l’un des meilleurs moyens de se reconnecter à soi-même.
Le monologue intérieur, aussi appelé auto-discours, intrigue autant qu’il fascine. Pour le psychologue Russell Hurlburt, de l’université du Nevada à Las Vegas, ces pensées verbalisées sont des expériences intérieures authentiques, qui nous offrent un accès direct aux coulisses de notre conscience. Il les considère comme des fenêtres ouvertes sur notre moi profond, loin d’un simple échappatoire à nos tâches quotidiennes.
Depuis les années 1970, la psychologie moderne s’intéresse de plus près à ce phénomène, notamment grâce aux travaux d’Aaron Beck, fondateur de la thérapie cognitivo-comportementale (TCC). En 2009, le psychologue Thomas Brinthaupt a développé un outil appelé Self-Talk Scale (STS), destiné à quantifier et classifier les formes de monologue intérieur. Son objectif : mesurer la fréquence et les fonctions de cette pratique mentale en la divisant en quatre catégories : l’évaluation sociale, l’autocritique, l’auto-renforcement et l’autogestion.
Contrairement à certaines idées reçues, se parler à soi-même n’est pas un signe d’isolement ou de pathologie. Enfants introvertis, personnes vivant seules ou encore individus confrontés à la solitude – notamment durant les confinements liés à la pandémie de COVID-19 – sont plus susceptibles d’y recourir. Même les personnes atteintes de troubles obsessionnels compulsifs ou les utilisateurs de la langue des signes ont leur propre forme de dialogue interne.
Cependant, le caractère universel du monologue intérieur reste controversé. Brinthaupt soutient qu’il est présent chez tout le monde, bien que certains en soient peu conscients. Hurlburt, en revanche, adopte une approche plus nuancée : d’après ses cinquante années de recherches, seuls 25 % des cas observés impliqueraient l’usage réel de mots ou de paroles. Chez certaines personnes, le dialogue intérieur prendrait plutôt la forme d’images mentales ou de scènes vécues, rejouées intérieurement sans passage par le langage verbal.
Quelles que soient ses formes, le monologue intérieur joue un rôle crucial dans la régulation de nos émotions et de nos comportements. Il peut nous aider à mieux interagir socialement, à nous motiver ou à mieux nous organiser. En thérapie cognitivo-comportementale, il est même utilisé pour reprogrammer les pensées négatives, en remplaçant l’auto-critique par des affirmations positives.
Néanmoins, Hurlburt rappelle qu’une véritable introspection ne peut reposer uniquement sur des questionnaires : pour capturer l’essence de nos pensées, il faut des méthodes discrètes et respectueuses de notre intimité mentale. Son approche, basée sur un échantillonnage par signal sonore, vise à observer les pensées sans les perturber.
En définitive, que l’on se parle ou non à soi-même, ce phénomène reste un miroir précieux de notre monde intérieur. Il peut être source de compréhension, de réparation émotionnelle, voire d’évolution personnelle. Et s’il ne fait pas l’unanimité chez les chercheurs, il demeure un indicateur fascinant de la richesse de notre vie psychique.